» Améliorer les soins aux mineurs victimes de violences sexuelles est une urgence humanitaire. Pour éviter qu’ils ne développent un stress post-traumatique, empêcher l’installation de lourdes conséquences physiques et psychiques, mais aussi pour enrayer la reproduction des violences, de proche en proche et de génération en génération. «
» Oui, la violence sexuelle est grave, fréquente et a des conséquences délétères sur la vie amoureuse, sociale, familiale, scolaire et professionnelle. Mais elle est aussi contagieuse, transmissible de proche en proche, de génération en génération. Par imitation, d’abord « certains enfants ont tellement été amenés à banaliser la sexualité coercitive qu’ils la perçoivent comme allant de soi », écrit le sociologue Michel Dorais, auteur d’une enquête sur les violences sexuelles au masculin [5]. Par vengeance (« quelqu’un doit payer ») ou pour « réparer le passé en inversant les rôles » mais aussi parce que « reproduire les violences qu’on a subies sur d’autres enfants est terriblement efficace pour s’anesthésier émotionnellement, tenter d’échapper à sa mémoire traumatique, et écraser la petite victime qu’on a été et que l’on méprise », constate Muriel Salmona. Certains perpétuent ainsi l’engrenage infernal. Parfois, sur d’autres enfants, un agresseur de mineur sur quatre l’étant aussi [6].
D’autant que, explique la psychiatre, « certains vivent ces images intrusives dans la honte, l’incompréhension et la peur. D’autres les transforment en des fantasmes sadiques ou masochistes. Une minorité, mais suffisamment pour que la violence se perpétue », constate-t-elle. « Les traumatismes liés à l’agression sexuelle agissent ainsi comme des apprentissages » chez les jeunes, précise Michel Dorais. D’abord parce qu’ils surviennent à des périodes clés de leur construction, où leur identité, leur perception de leur corps, de la relation à l’autre, de l’attachement, de la confiance, de l’amour et de la sexualité est en construction. Mais aussi parce qu’ils créent des liens cognitifs durables dans leur cerveau très malléable. « L’agression subie leur a fait connaître des émotions, des sensations, des gratifications, des répulsions et des angoisses qui feront désormais partie de leur expérience de vie et de leur perception de la réalité. »
« Parce que celles-ci – psychiques et corporelles – ont été niées et violées. Parce qu’elles se sont construites dans le bourbier de l’emprise perverse. Pour toutes ces raisons, une ancienne victime désormais adulte peut aussi ne pas voir « qu’il se passe avec [ses] enfants la même chose qu’il s’est passé avec elle », conclut la thérapeute. Or, c’est aussi comme cela que la violence sexuelle se reproduit de génération en génération. »